Cahier de doléances
A quelques exceptions près les « cahiers de doléances », rédigés avant la réunion des Etats généraux, proclament que le catholicisme est la religion du royaume et doit le rester. Les rédacteurs des cahiers ne contestent nullement l'autorité de l'Eglise et parlent même avec sympathie des curés de paroisses. Des réformes sont cependant demandées : fin des privilèges fiscaux, des droits seigneuriaux, des dîmes, meilleure répartition des revenus ecclésiastiques par limitation des richesses des évêques et attribution d'un traitement décent aux prêtres en paroisse, remise en ordre du clergé régulier, en particulier suppression de la commende et fermeture des abbayes dépeuplées. Seuls 25 cahiers, sur plus de 1.300, demandent des mesures anticléricales comme la suppression des vœux monastiques prônée par les philosophes.

Cependant la composition des Etats généraux allait amener rapidement aux mesures extrêmes. Aux côtés d'adversaires résolus de l'Eglise catholique, agnostiques, déistes, anticléricaux, on trouve parmi les députés catholiques de nom, ou même de vie, des personnes plus ou moins gagnées aux idées des philosophes et de la « libre pensée ». Parmi les croyants sincères, on trouve des députés se rattachant au jansénisme, au richerisme et au gallicanisme, tous courants de pensée sourdement hostiles à Rome et au Pape, et favorables à une domination de l'Etat sur le champ religieux.

L'EVOLUTION DE LA CRISE RELIGIEUSE



4 Mai 1789 : Ouverture des Etats généraux

1789

4 mai : Procession solennelle du Saint-Sacrement dans les rues de Versailles pour l'ouverture des Etats généraux. 13 juin : trois curés poitevins rejoignent le Tiers état, suivis d'une douzaine d'autres les jours suivants. Le 17 : proclamation de l'Assemblée nationale. Le 19 : par 149 voix contre 138, la Chambre du clergé vote la réunion au Tiers état. Le 26 : le Haut clergé rejoint le Tiers état. Le 9 juillet : L'Assemblée nationale prend le nom d'Assemblée constituante. Le 4 août : dans la nuit, le Clergé abandonne dîme et privilèges. Le 20 : l'Assemblée nomme un « Comité ecclésiastique » pour l'étude des propositions concernant la religion. Il est composé de 15 membres : 2 évêques, 3 curés, 2 députés de la noblesse, 2 magistrats et 6 avocats. Le 28 octobre : l'Assemblée décide que « l'émission des vœux dans tous les monastères est suspendue ». Le 2 novembre : par 568 voix contre 346, l'Assemblée adopte un décret mettant les biens du clergé « à la disposition de la Nation, à charge de pourvoir, d'une manière convenable, aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres ». Le 22 décembre : l'Assemblée crée les départements et adopte un décret enlevant aux évêques la surveillance de l'éducation publique et la confiant aux administrations départementales.

13 février 1790 : interdiction des voeux religieux

1790

Le 7 février : le Comité ecclésiastique est porté à 30 membres ; sur les 15 nouveaux un seul est opposé aux réformes radicales, les autres sont acquis aux principes d'où sortira la Constitution civile du clergé. Peu après, 9 membres du comité démissionnent, refusant d'endosser la responsabilité des réformes proposées ; le Comité, réduit à 21 membres, forme dés lors un groupe homogène. Le 13 : adoption du décret supprimant les voeux dans tous les monastères. Des officiers municipaux doivent aller demander à chaque membre des communautés religieuses s'il désire sortir ou rester. Il est prévu que les partants recevront une indemnité pour vivre, et que les religieux fidèles seront regroupés, tous ordres confondus, dans quelques maisons conservées, les autres étant vendues. Certains ordres masculins seront très touchés par les défections, d'autres pratiquement pas. Par contre dans les ordres féminins la fidélité sera quasiment unanime. Le 29 mars : dans une allocution consistoriale, le Pape Pie VI manifeste son inquiétude en présence des principes de la Révolution et des projets de la Constituante en matière religieuse. Le 12 juillet : l'Assemblée vote la loi portant réorganisation de l'Eglise en France dite « Constitution civile du clergé » créant pratiquement une Eglise anglicane : « Vous êtes payés par l'Etat, vous êtes ses fonctionnaires, vous n'avez qu'à obéir ! » déclare Mirabeau. Le 28 : le Roi écrit au Pape pour lui faire part de ses difficultés en présence de cette loi.



Portrait de Pie VI
De juillet à octobre 1790 : aliénation totale des biens du clergé. Le 24 août : face aux très fortes pressions de l'Assemblée, les 2 évêques ministres, Mgr de Pompignan et Mgr de Cicé, conseillent au Roi de signer la loi pour épargner le pire au clergé français et de conseiller au Pape qu'il peut seul éviter le schisme en donnant des formes canoniques aux réformes nouvelles. Sans réponse du Pape, Louis XVI promulgue la loi d'organisation de l'Eglise en France. Le 20 septembre : bref du Pape conjurant Louis XVI de s'opposer à la loi du 12 juillet. A la fin octobre, le premier évêque constitutionnel est élu à Quimper. Le 15 novembre : décret prescrivant qu'en cas de refus par le métropolite de donner la confirmation canonique à un nouvel évêque, on aura recours à deux notaires. Le 27 : loi contraignant tous les « prêtres fonctionnaires » à prêter le serment de « maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée et acceptée par le Roi » ; ceux qui refuseraient seront tenus pour démissionnaires de leurs fonctions et remplacés ; s'ils continuent à les exercer, ils seront considérés comme perturbateurs de l'ordre public et rebelles. Le 28 : environ un tiers des prêtres députés prêtent le serment. Les autres refusent. Le 26 décembre : sans réponse définitive de Rome, Louis XVI ratifie la loi sur le serment.

Portrait de Louis XVI

1791

Le 2 janvier : publication de la loi du 27 novembre sur le serment. 7 évêques sur 160 prêtent le serment; les prêtres "jureurs" ou "assermentés" et les non jureurs "insermentés" ou "réfractaires" seront en nombre variable selon les paroisses et les diocèses. Les motifs poussant les prêtres à prêter le serment sont très divers (intérêt personnel, désir d'empêcher leur remplacement par des prêtres schismatiques, approbation de réformes correspondant à leurs idées, etc.) ; certains jureurs n'acceptant pas toutes les réformes prêtent serment avec des restrictions dont ils demandent l'inscription au procès verbal. Des religieux non tenus au serment le prêteront volontairement, d'autres feront part de leur opposition. De nombreux jureurs se rétracteront dans les mois suivants, à réception de lettres de leurs évêques ou quand sera connue la position du Pape ; il ne restera dès lors comme jureurs, qu'un peu moins de la moitié des prêtres. L'Eglise de France va petit à petit se trouver coupée en deux : une Eglise constitutionnelle séparée du Pape et une Eglise fidèle au Pape qui sera progressivement obligée d'entrer dans la clandestinité. Dans sa grande majorité, la population reste attachée à l'Eglise fidèle au Pape, et manifeste le plus grand mépris pour les prêtres assermentés. Le 5 février : additif à la loi du 27 novembre étendant l'obligation du serment aux prédicateurs. Le 10 mars : dans un bref adressé aux évêques, le Pape déclare schismatique la Constitution civile, demande des renseignements exacts et ne ferme pas la porte à la négociation. Peu de temps après, Louis XVI remplace l'Abbé Poupard, son confesseur, assermenté, par le père Hébert, eudiste, qui sera parmi les martyrs des Carmes.



20 juin 1791 : Fuite du roi à Varennes
Le 7 avril : dans plusieurs quartiers de Paris, les chapelles sont envahies par des émeutiers ; prêtres et fidèles sont insultés et molestés. De tels incidents se reproduiront plusieurs fois au cours du mois. Le 11 : le Directoire départemental de la Seine arrête que les insermentés ont droit au culte dans des locaux loués par eux à condition d'apposer à la porte une inscription approuvée par le Directoire et qu'on n'y entende aucune attaque contre la Constitution et les autorités établies. Le 13 : dans un nouveau bref, le Pape fait connaître que tout jureur qui ne se rétractera pas dans les 4 jours est menacé de suspense, que les élections paroissiales et épiscopales sont nulles, les consécrations sacrilèges et les évêques consécrateurs suspendus. Il adresse par ailleurs des paroles d'encouragement et de charité aux prélats, prêtres et laïcs fidèles. En dépit de la police, les copies du bref se répandent rapidement dans toute la France. Le 17 : sous la pression d'émeutiers l'église des Théatins, louée par des insermentés, est fermée par décision administrative. Mise en circulation d'un pamphlet du club des Cordeliers : « La grande trahison du Roi des Français », Louis XVI y est accusé d'avoir communié des mains d'un prêtre insermenté se montrant par là « réfractaire aux lois du Royaume ». Louis XVI, convalescent, veut se rendre à Saint-Cloud pour y passer un certain temps, comme en 1790 ; on est le lundi de la Semaine sainte, les révolutionnaires prétendent donc qu'il veut quitter Paris pour faire ses Pâques des mains d'un prêtre insermenté ; une émeute est organisée et le carrosse est empêché de quitter les Tuileries. Le 2 mai : le Pape est brûlé en effigie à Paris après un simulacre de procès. Le 7 : l'Assemblée reprend à son compte l'arrêté du 11 avril du Directoire de la Seine. Le 2 juin : des émeutiers se présentent à l'église des Théatins et troublent la messe dite par un prêtre insermenté. Ils renversent l'autel et les « accessoires ». Le 20 : le Roi et la famille royale quittent Paris pour échapper à la pression des émeutiers et gagner Montmédy (fuite de Varennes). Louis XVI laisse un message à l'Assemblée dans lequel il proteste contre tout ce qui avait été fait et imposé depuis son départ forcé de Versailles. Il déclare que toutes les signatures qu'il avait données depuis cette date étaient nulles puisque contraintes. Il fait part, entre autres, de son intention de rétablir la religion. Le 14 septembre : le Roi accepte la Constitution du royaume. Le 20 : l'Assemblée constituante se sépare. Le 1er octobre : L'Assemblée législative se réunit pour la première fois. Le 17 : fermeture des Grands Collèges de Théologie. Le 29 novembre : loi prévoyant que les prêtres insermentés seront inscrits sur la liste des suspects et qu'ils pourront être éloignés du lieu de leur résidence s'ils sont soupçonnés de causer quelque trouble, sans préjudice des poursuites qui pourraient leur être intentées. Le 19 décembre : Louis XVI fait connaître son intention d'user de son droit de veto pour la loi du 29 novembre.

Portrait de Danton

1792

Le 12 mars : Pie VI excommunie les prêtres jureurs. Le 20 avril : déclaration de guerre à l'Autriche. L'Europe, jusque-là indifférente à la situation politique et religieuse en France, feint d'entreprendre une croisade contre les révolutionnaires athées ; les catholiques français fidèles au Pape font, de ce fait, figure de rebelles à la loi et de traîtres à la Patrie. Le 28 : décret d'interdiction de l’habit religieux. Décret de suppression de toutes les congrégations. Défaite aux frontières. L'anticléricalisme est de plus en plus virulent. Le 27 mai : loi permettant la "déportation" (c'est à dire l'exil) au delà des frontières des prêtres insermentés. Le 6 juin : Louis XVI, usant de son droit de veto, refuse de signer le décret du 27 mai en même temps qu'un autre décret convoquant à Paris 20.000 gardes nationaux. Le 20 : les Tuileries sont envahies par les émeutiers aux cris de « A bas le veto ! Mort aux prêtres ! ». Le Roi refuse de faire « le sacrifice de son devoir ». Il retourne la situation à son profit. Le 25 juillet : Manifeste de Brunswick menaçant Paris de destruction si le moindre outrage est fait à la famille royale. Le 2 août : les fédérés marseillais annoncent, dans une adresse à l'Assemblée nationale, qu'ils ont décidé de rester à Paris pour « défendre les patriotes ». Dans la nuit du 9 au 10 : une commune insurrectionnelle, menée par Marat, Chaumette et Hébert et derrière laquelle se trouve Danton, prend à Paris la place de la commune légale. Elle se donne tous les pouvoirs d'administration et de police. Elle imposera ses volontés à l'Assemblée. Le 10 : conduits par les "Marseillais", des émeutiers s'emparent des Tuileries, le Roi et sa famille sont conduits au Temple. Dans la soirée, la commune de Paris transmet aux sections les listes d'insermentés. Nuit du 10 au 11 : lancement par la Commune insurrectionnelle de Paris des ordres d’arrestation des prêtres réfractaires en application de la loi du 27 mai. Le 11 : arrestation de Mgr du Lau, archevêque d'Arles, de ses vicaires généraux et de ses domestiques (qui seront libérés plus tard). Ils sont emprisonnés aux Carmes. D'autres rafles de prêtres se poursuivront jusqu'au 2 septembre. Le 13 : le Roi est suspendu de ses fonctions. Un "Comité exécutif provisoire" prend le pouvoir. Le 14 : décret sur le serment de fidélité à la liberté, dit le "petit serment". Le 17 : création du Tribunal criminel extraordinaire, le Tribunal révolutionnaire, dont le premier juge est Robespierre. Il a pour charge d'éliminer tous les adversaires (réels ou supposés) de la Révolution. Le 26 : la nouvelle de la chute de Longwy et de la menace qui pèse sur Verdun arrive à Paris. Le clergé réfractaire et les nobles sont systématiquement présentés comme des traîtres, alliés des émigrés et des ennemis. Le 28 : Danton, ministre de la Justice, ordonne des perquisitions chez tous les "suspects". Elles sont confiées aux 48 sections de la Commune. Pendant ce temps, en Normandie, dans le Limousin, en Provence, des prêtres sont massacrés. A Paris, l'Assemblée multiplie les mesures anticléricales et les décrets de déchristianisation : annulation du vœu de Louis XIII, ordre de fondre les bronzes et les ors des églises, répétition de l'interdiction du port de l'habit ecclésiastique, de l'ordre de suppression des congrégations qui pourraient subsister, renforcement de la loi de déportation des prêtres insermentés prévoyant de les envoyer en Guyane, s'ils ne franchissent pas la frontière.